Christine est le troisième enfant de Maria et Raymond. Elle est née en 1952, soit dix ans après Jean-Marie. Par sa différence d’âge et son expérience personnelle, elle porte un autre regard que celui de son frère sur la période de la Seconde Guerre mondiale en Alsace.
Est-ce que votre père ou vos parents vous parlaient de la période 1939-1945 quand vous viviez à la maison ?
Non, on ne parlait JAMAIS de cette période ni à la maison, ni chez mes amies … les gens voulaient oublier, c’est bien normal.
Pensez-vous que cette période ait impacté votre père ? Si oui comment ?
Je pense que ça l’a rendu mélancolique. Pour moi, cette période de guerre, ainsi qu’un ensemble d’éléments liés à sa vie, ont probablement participé à cette mélancolie.
Quand et comment avez-vous réalisé que l’histoire de l’Alsace durant la Second Guerre mondiale différait de l’histoire nationale ?
C’est lorsque j’ai commencé à travailler aux Anciens Combattants et Victimes de Guerre (ACVG) que j’ai compris que notre histoire était différente de celle du reste de la France.
Quand avez-vous travaillé aux anciens combattants ?
Je suis rentrée aux Ancien Combattants et Victimes de Guerre en 1971.
Quel(s) poste(s) occupiez-vous aux ACVG ?
- J’étais au service de l’entretien des nécropoles militaires et renseignements aux familles sur la recherche de leurs disparus. Nous avions des tiroirs dans lesquels il y avait des milliers de fiches nominatives, classées alphabétiquement, de tous les soldats identifiés tués en Alsace. Ce qui nous permettait de répondre aux demandes des familles qui recherchaient leurs morts. Au fil des années, il y avait de moins en moins de demandes des familles et aussi de moins en moins de corps retrouvés et identifiables grâce à leur plaque.
L’entretien des nécropoles consistait à visiter une fois dans l’année chaque nécropole pour vérifier son état. Le Struthof était une organisation à part.
- J’ai également travaillé au service des évaluations des pensions d’invalidité. J’accompagnais notre médecin chef militaire dans les tournées où nous rencontrions des personnes qui touchaient une pension d’invalidité afin de la réévaluer ou de l’invalider. C’était pour moi des moments particulièrement pénibles et traumatisants. A cette époque, il y avait encore beaucoup d’anciens combattants de la première guerre mondiale. Nous étions trois ou quatre personnes assises derrière une table (souvent dans les mairies ou dans d’autres locaux mis à notre disposition). Le malheureux invalide se présentait devant nous, nous montrait son moignon, son œil énucléé, ou sa cicatrice. Le médecin chef prenait des notes afin de définir si le taux d’invalidité de la personne convenait à son état présent. Il faut se replacer dans le contexte, dans les années 70, il était humiliant qu’un homme se dévêtisse devant une jeune fille de 20 ans qui n’était même pas infirmière.
- J’étais au service juridique qui traitait les dossiers des personnes se pourvoyant au tribunal lorsque leur pension était baissée ou invalidée. Nous représentions l’Etat.
- Et pour finir, j’ai également travaillé au service de renseignements – c’était de loin le service le plus intéressant puisque je faisais le lien entre les anciens combattants et le service des anciens combattants. On venait nous voir pour toutes sortes de questions et aussi pour remplir des documents que les anciens combattants, ne parlant qu’alsacien, ne pouvaient pas remplir. Nous le faisions à leur place. C’est notre service qui a également traité les demandes d’indemnisations des Malgrés Nous.
Comment approchiez-vous la Seconde Guerre mondiale par rapport à la Première ?
De par ce travail aux ACVG, les deux guerres étaient identiques pour moi. Je traitais ces dossiers de tant de personnes, je baignais tous les jours dans ces atrocités. Certes la Première Guerre mondiale m’a peut-être plus marquée, spécialement au travers des évaluations des pensions d’invalidité. Je voyais ces anciens combattants blessés dans leur chair. C’était visuellement impressionnant. Alors que pour beaucoup d’anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, leurs blessures ne se voyaient pas toujours à l’œil nu.
Mais je pense que je n’avais pas un regard objectif sur ces évènements puisque c’était mon travail. Ce n’est que bien plus tard que je me suis intéressée au côté historique de ces deux guerres.
Que représente la sortie de ce livre pour vous ?
Ce livre est pour moi le témoignage d’un homme dans une époque troublée. Je ressens évidemment une grande fierté que le vécu de mon père soit retranscrit pour les générations futures. Je pense qu’il en aurait été fier.