Rencontre et questions avec Jean Laurent Vonau

Le livre de Raymond, c’est aussi une très belle rencontre, improbable, dans un lieu hautement symbolique, par une fin d’après-midi magnifique alors que la matinée avait été pluvieuse…. Il faut pour cela remonter à la fin septembre 2022 et se déplacer en Normandie.

Les Amis du Mémorial de Caen avaient organisé les 27 et 28 septembre une rencontre sur Les Malgré-Nous – L’incorporation de force en Alsace-Moselle 1942-1945. Mr. Jean-Laurent Vonau, spécialiste de l’Alsace annexée entre 1940-1945, avait été convié pour faire deux présentations : une sur « Le changement de souveraineté en Alsace » et une autre, le lendemain, sur les « Exemples de comportements de Malgré-Nous vis-à-vis des civils ».

Moi, j’étais dans l’assistance, je prenais des notes et j’écoutais avec grand intérêt les différents intervenants. Je devais repartir pour la Floride dès la fin du colloque, mais ces 28-29 septembre 2022, l’ouragan Ian est arrivé sur Orlando et la ville entière s’est arrêtée et calfeutrée pour le laisser passer. J’étais donc bloquée 24h de plus qu’initialement programmé sur le sol Français. J’avais un choix cornélien à faire :  soit je repartais pour Paris immédiatement et je passais cette journée supplémentaire dans la capitale, soit je restais un jour de plus en Normandie et je saisissais cette opportunité pour aller au cimetière américain de Colleville-sur-Mer. Colleville-sur Mer était, entre autre, le prochain cimetière de l’ABMC que nous envisagions d’intégrer dans notre projet Florida-France Soldier Stories. Je vous laisse deviner mon choix…Le cimetière de Normandie a bien sur remporté l’affaire !

Le 29 septembre, j’ai donc fait les relevés GPS et les photos des 130 tombes de floridiens enterrés en ce lieu mythique. J’arrivais à la fin de cette journée de travail quand j’ai reconnu Mr. Vonau, assit tout seul sur un banc. Il était en train d’observer la grande carte de l’invasion Alliés sur la Normandie, avec les différents mouvements des divisions militaires américaines, incrustées dans le mur du mémorial.

J’étais tellement surprise de le voir là, tout seul, que sans réfléchir, je l’ai interpellé. Nous avons alors engagé la conversation et j’ai fini par m’assoir à côté de lui. Nous avons évidemment échangé sur nos présences mutuelles dans le cimetière, sur le colloque, et j’ai fini par lui dire que mon rêve serait de publier le récit de mon grand-père. Il a immédiatement cherché à m’en dissuader :  Il y a déjà au moins 350 témoignages de Malgré-Nous publiés, qu’est-ce que celui de Raymond apporterait de nouveau ?

Par chance, j’avais avec moi le fameux document que Raymond m’avait donné en 1994. Mr. Vonau a donc pu le feuilleté, se rentre compte du travail de rédaction déjà effectué, voir les quelques photos et documents intégrés dans le récit, et identifié les différentes étapes du parcours de Raymond. Nous étions tous les deux d’accord que pour présenter un tel témoignage aujourd’hui, il fallait absolument rajouter du contexte, des explications afin que les lecteurs Alsaciens-Mosellans ou d’ailleurs, et de n’importe quelle génération, puissent comprendre la contrainte qui pesait sur ces incorporés de force.

Au bout d’une demi-heure, le groupe de Mr. Vonau est revenu de la visite guidée du cimetière, nous avons encore rapidement échanger nos coordonnées et il est parti, me laissant là, avec le témoignage de Raymond entre les mains et l’espoir fou de peut-être voir mon rêve de le publier prendre forme.

Cette rencontre était tout simplement incroyable, comme un signe du destin, placé sous la protection de tous ces hommes et femmes venus de si loin, qui avaient participé au même conflit que mon grand-père mais qui n’ont pas eu sa chance.
Cette rencontre a été un tournant décicif qui a marqué le début de cette aventure !

Voici Mr Jean-Laurent Vonau en quelques questions:

Pouvez-vous vous présenter ? Comment êtes-vous devenu Historien ? Quel est votre parcours ?

Je suis professeur émérite de l’Université de Strasbourg (faculté de Droit). Je ne suis pas un historien pur sucre comme on me qualifie souvent. Je suis un juriste, un historien du Droit. (Il existe trois grandes spécialités dans le cadre de l’enseignement juridique que l’on adopte après un doctorat en Droit : le Droit privé, le Droit public et l’histoire du Droit qui englobe les deux précédentes.)

Quand et comment avez-vous réalisé que l’histoire de l’Alsace ne correspond pas à l’histoire nationale de la France ?

La spécificité de l’histoire d’Alsace m’est apparue très tôt en fondant la société d’histoire locale en 1972, « le Cercle d’Histoire de l’Alsace du Nord » (revue trimestrielle L’Outre-Forêt) dont j’ai assumé la présidence pendant 18 ans.

Pensez-vous que « l’Alsace pendant la Seconde Guerre mondiale » ou « l’Alsace annexée » est un champ de recherche qui peut encore se développer ? Quels axes aimeriez-vous voir se développer ?

La recherche historique n’est jamais terminée. Bien des thèmes restent encore à travailler comme « l’industrie sous le 3ème Reich en Alsace », « l’influence de la religion dans le ralliement des collaborateurs » ou encore « les volontaires dans l’armée allemande »…

Pourquoi avez-vous accepté de préfacer le livre Raymond, 1939 : mon grand-père alsacien avait 20 ans ?

J’ai accepté de préfacer le livre de Raymond parce que son parcours est particulier et méritait d’être connu du grand public. Voilà un enrôlé de force qui tente de protéger au mieux sa famille à cause de la Sippenhaft. Par deux fois, il se trouve en Alsace lors des opérations militaires mais ne parvient pas à déserter parce qu’il est chargé de famille. Le drame qu’il a vécu est cornélien ! De ce fait son récit sort des normes.

Est-ce que la Seconde Guerre mondiale vous a impacté ou a impacté votre famille ? Est-ce que vos parents vous en parlaient ?

La Seconde Guerre mondiale a impacté ma famille comme toutes les familles alsaciennes. Bien sûr l’épopée familiale durant cette période fut souvent discutée lors des réunions de famille.

Avez-vous eu des Malgré-Nous dans votre famille ? Si oui, comment l’avez-vous découvert ?

Bien entendu des cousins ont été incorporés de force et ils en parlaient fréquemment.

A vos yeux, pourquoi est-il important de que les jeunes générations comprennent et se souviennent de cette période trouble de l’Alsace ?

Le crime de l’incorporation de force a touché toutes les familles alsaciennes. Il est devenu un élément identitaire désormais intégré dans l’identité alsacienne. Il est de la plus haute importance que les jeunes, interrogés à ce sujet comprennent la tragédie endurée par leur famille et que cette vérité continue à se transmettre.