Yann est un des six petit-enfants de Maria et Raymond. Il a soutenu et s’est fortement impliqué dans le projet du livre, influençant toute la partie graphiques et photographiques du livre.
Pouvez-vous vous présenter ? Comment êtes-vous relié à Raymond ? Quelle relation aviez-vous avec lui ?
Je m’appelle Yann, je célèbre mes 50 ans cette année et je suis un des petits-fils de Raymond. Ma maman est la petite dernière d’une fratrie de trois enfants. Raymond avait 54 ans quand je suis né et quand j’ai vraiment commencé à m’intéresser à son passé et à le questionner, il était déjà retraité. Il portait un grand intérêt à l’Histoire, ce qui n’était absolument pas mon cas quand j’étais âgé d’une dizaine d’année, au milieu des années 80. J’étais quand même très impressionné par ses publications historiques dans les parutions des 4 cantons et son article hebdomadaire sur le jardinage dans les Dernières Nouvelles d’Alsace, journal largement diffusé dans le Bas-Rhin. En réalité, l’image forte que je conserve de mon Papy est avant tout celle du « sachant ». Il avait un avis assez tranché sur les choses et les individus, certains diraient que son jugement était souvent péremptoire -dans le bon sens du terme-. En plus de représenter la sagesse, il incarnait pour moi le savoir. Il pouvait répondre à toutes mes questions et à cet âge-là, j’en avais des questions. J’en ai toujours d’ailleurs et peut être plus encore, mais il n’est plus là pour y répondre.
Je le revois quand je rentrais de l’école, en hiver, assis bien au chaud à son bureau. Dehors, il faisait nuit et mon Papy, faisait raisonner sa machine à écrire dans toute la maison. Il utilisait du papier carbone pour dupliquer ses écrits en direct, je trouvais cette idée géniale et tellement avant-gardiste.
Chaque repas de famille commençait par un petit discours teinté d’humour que Papy improvisait. Il faisait un bilan rapide de l’année passée et invoquait systématiquement nos ancêtres. Dans les années 90, il s’était lancé un peu plus sérieusement dans des recherches généalogiques. Il avait même organisé un déplacement en car pour toute la famille direction le village d’origine de son grand-père paternel en Lorraine. À cette époque-là, Papy avais également entrepris de rédiger ses mémoires en racontant son enfance à l’aube du 20ème siècle. Il ne me parlait que très peu de la période tourmentée de la guerre, je savais qu’il avait été blessé mais sans plus de détails.
Comment êtes-vous intervenu dans ce projet ? Quelles sont vos compétences ?
Début des années 90, la maman de Marie Oury, confie à Raymond son ancien Macintosh, l’occasion pour lui de se mettre à l’heure de l’informatique. Ça tombait bien car il avait commencé à rédiger ses mémoires de guerre. Adolescent j’avais un labo photo dans notre cave et je me souviens qu’il m’avait demandé un jour de lui faire des copies en tirage photo d’une dizaine de ses photos originales de guerre qu’il avait choisi de faire figurer dans son récit. Certaines images figurent d’ailleurs dans le livre que vous avez entre les mains. Il avait comme projet de terminer son travail pour noël 1994 et de remettre à chacun de ses enfants et petits-enfants, une copie reliée de « Ma Guerre » (titre que Raymond avait donné à son livre). Je possède toujours mon exemplaire dans lequel il m’a écrit quelques mots.
A son décès, j’ai été désigné par le reste de la famille comme le gardien de tous ses albums photo, de nombreux et gros albums très bien tenus. Je sais que ma cousine Marie aurait souhaité garder tous ces documents familiaux avec elle, mais elle s’était installée de l’autre côté de l’Atlantique et nous voulions qu’ils restent en Alsace. Ma cousine et moi sommes très proches depuis toujours. Enfants, nous passions beaucoup de temps ensemble chez nos grands-parents, c’était d’ailleurs le point de rendez-vous de toute la famille.
Récemment de passage en France au mémorial de Caen, Marie me passe un coup de fil et me dit : « Yann, j’ai fait une rencontre et je crois que nous allons pouvoir éditer les écrits de Papy, ce n’est pas génial ? ». En réalité, depuis ce Noël 1994, nous plaisantions régulièrement entre nous, et avec Papy d’ailleurs, sur l’idée d’en faire un livre, un vrai !
Quand Marie a réellement concrétisé ce projet, elle m’a demandé de me plonger dans la base photo pour en extraire de la matière à illustrer le récit. Je me suis donc mis à scanner les images avant que nous ne les sélectionnions. Tandis que Marie effectuait un travail titanesque de recherches pour éclairer le récit de notre Papy, j’avançais sur le travail de préparation et de nettoyage des photos.
Je travaille dans la publicité et la création graphique, il était donc évident que ce travail m’incombe. Nous voilà donc lancés dans cette aventure. Le reste de la famille a rejoint assez rapidement le projet, mettant en commun chacun ses propres compétences.
Est-ce qu’il y a des éléments du récit de Raymond qui vous surprennent ?
Cette histoire, cette aventure pendant cette période particulière, durant laquelle il a beaucoup bougé, contraste avec la perception que j’avais de mon grand-père Raymond quand j’étais enfant. Il était actif dans beaucoup de domaines mais pas du tout sportif et je me souviens qu’il était assez casanier.
– Que représente la parution de ce livre pour vous ? Je suis très heureux de pouvoir mettre en lumière cette période particulière de la vie de mon grand père, alors qu’il n’avait que 20 ans. Je suis aussi très admiratif du travail et de la ténacité dont a fait preuve l’auteure, ma cousine. Elle a su donner naissance à un livre qui leur ressemble à tous les deux. Papy aurait été très fier du travail de sa petite fille et sans doute touché par l’émulation familiale qu’a déclenché le lancement de cette aventure.
Que pensez-vous de rendre cette histoire familiale public ?
Ce livre reproduit fidèlement les écrits de mon grand-père, illustré de photos personnelles et je dois avouer que j’ai complètement redécouvert cette histoire que j’avais lue adolescent, grâce à l’éclairage historique qu’apporte ma cousine. Elle a su placer de façon très pertinente des balises qui permettent de décoder et d’approfondir certains détails qui paraissent anodins dans le récit de mon grand-père. Un grand nombre de cartes détaillées mettent aussi en perspective le contexte historique en évolution et l’avancées des troupes. Elles aident également à mieux comprendre les enjeux des déplacement effectués par Raymond.
Est-ce que la Seconde Guerre mondiale a également eu un impact sur votre autre grand-père, aussi alsacien?
Pouvez-vous nous raconter en quelques lignes ce qu’il lui est arrivé ? Comment ce grand-père a-t-il vécu dans l’après-guerre ?
Mon grand-père paternel Ernest, un peu plus jeune que Raymond quand la guerre a éclaté, a été interné quelques mois au camp de Schirmeck. Moins chanceux que Raymond, il a été emprisonné et torturé sévèrement. Pour moi petit, c’était lui qui avait fait la guerre, il en gardait les stigmates. Il faisait de temps en temps des crises d’absence assez impressionnantes pour mes yeux d’enfant. Le reste du temps il me parlait de la guerre, il avait été marqué à vie par les exactions de ses bourreaux : les “boches” comme il les nommait encore dans les années 80.
Vous l’avez compris, Raymond n’étais pas du tout dans ce registre-là, il a été marqué par cette guerre, mais n’a gardé aucune séquelle physique pour lui rappeler le moment où sa vie a basculé. Il était passé à autre chose et avait refermé la parenthèse de sa guerre.
A quel moment avez-vous réalisé que l’histoire de l’Alsace différait de l’histoire de France enseigné en classe ?
Depuis que je suis ado, je porte un intérêt croissant à la guerre 39-45. Je pense que mon environnement a beaucoup contribué à cet engouement, mais pas directement Raymond. Mon autre grand-père Ernest ne parlait que de ça et ma maman était fonctionnaire au département des Anciens combattants. Elle répondait volontiers à mes questions d’enfant sur le sujet. J’ai assez vite compris que l’histoire de l’Alsace était à part : Un monument aux morts assez massif faisait face à l’école primaire de mon village, il était gravé « À nos morts » tandis que dans le reste de la France on peut lire « Morts pour la France. Raymond chez qui je passais beaucoup de temps répondait volontiers à mes interrogations mais ne développait pas davantage. Je craignais enfant que le fait de le questionner le mette mal à l’aise et ravive chez lui une souffrance, comme chez mon second grand-père. Mais avec du recul, je pense que pour Raymond c’était tout simplement du passé.