Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette photo de quatrième de couverture n’a pas été retouchée. Elle existe telle quelle dans l’album photo de Raymond. Il y figure au deuxième rang, c’est le soldat entouré en rouge.
Si on regarde cette image de près, on se rend compte que le photographe a fait sa mise au point sur Raymond. La rangée de devant n’est pas nette et les rangées de derrière disparaissent dans le flou. Était-ce voulu ou est-ce arrivé ainsi lors du déplacement de la troupe ?
Nous ne connaissons pas le photographe, ni la raison pour laquelle il a pris cette photo, mais dans l’album de Raymond, il y a plusieurs photos de ce dernier avec son unité, allant ou sur le terrain d’entrainement lors de sa première formation en 1943, à Dresde, en Allemagne.
Cet ensemble de photos pose bien sur des questions : était-il courant dans le système allemand qu’un photographe suive un bataillon ? Quel était le but de ces photos ? Etaient-elle faites pour que les soldats eux-mêmes les envoient à la maison dans leur courrier, peut-être pour rendre leurs familles fières du devoir accompli ou pour les rassurer qu’ils étaient encore en vie ?
Est-ce que ces photos étaient faites dans un but de propagande ? Ont-elles servi hors de l’album de Raymond ? Comment et à quel moment Raymond a-t-il récupéré cette photo, et les autres photos de son album. Existe-t-il d’autres clichées de son unité que nous ne connaissons pas ?
Toutes ces questions restent aujourd’hui sans réponse mais il serait intéressant d’effectuer des recherches plus approfondies pour y répondre.
Les historiens ont d’ailleurs évolué concernant leur approche des photos et de l’image. Elles sont aujourd’hui de vrais outils pour comprendre et interpréter un évènement historique. Le livre tout récent de Tal Bruttmann, Stephan Hördler et Christoph Kreutzmüller Un Album d’Auschwitz, Comment les nazis ont photographié leurs crimes, est un exemple fascinant de recherche sur des photos qui a fait évolué la connaissance sur la Shoah. Les trois historiens ont réinterprété entièrement le seul album photo sorti d’Auschwitz, ou album de Lili Jacob. Ces photos étaient utilisées depuis des dizaines d’années pour illustrer la Shoah, sans que personne ne se pose vraiment de question sur leur création et leur but réel, pensant à tord que les images parlaient d’elles-mêmes. Or le travail de ces trois historiens a permis de remettre en contexte ces images et de comprendre ce qu’elles sont réellement censées montrer et raconter. Leur analyse offre une réinterprétation incroyable et poussée du fonctionnement de ce système de mise à mort et de toute sa logistique. Après avoir lu ce livre, ces photos que vous avez sans doute vu des dizaine de fois, ne vous parleront plus de la même manière.
Les photos, au même titre que n’importe quel autre document d’archive, doivent donc être remises dans leur contexte et interprétées en fonction de ce que l’on a voulu leur faire dire au moment de leur création.