RAYMOND

Raymond lors de son stage de Umschulung à la Holderlinschule à Heidelberg, en autonme 1940.
Raymond lors de son stage de Umschulung à la Holderlinschule à Heidelberg, en autonme 1940.

Entretien avec M. Morgen (4/6) : La Umschulung, ses conséquences.

Comment définissez-vous la Umschulung dans le cadre de l’annexion de l’Alsace et de la Moselle au III Reich ? Quelles ont été ses conséquences pour les enseignants et les élèves alsaciens-mosellans pendant l’annexion ? Après-guerre ?

La Umschulung se caractérise par la volonté de réformer totalement l’école et d’éduquer les générations scolaires selon les principes et idées nazies. L’influence du projet a été réduite chez les jeunes de plus de seize ans. Par contre, son influence  a été délétère sur les plus jeunes de six à quatorze ans. Je propose de distinguer trois groupes : les adultes et les jeunes enseignants ; les élèves d’âge scolaire.

 

Les adultes, les jeunes enseignants et les jeunes filles en formation pédagogique.

« Je pense qu’ils ont très vite compris qu’ils n’allaient pas pouvoir nous convertir. On ne nous a jamais demandé ni d’être au Parti, ni ailleurs. La seule chose que nous faisions, c’étaient les collectes des Winterhilfswerke, les collectes, des ventes, l’Opferring. Et de temps en temps, les gardes de nuit, la Brandwache, dans l’école [La veille anti-incendies en cas de bombardement]. » (Marthe Camus née Richert, née en 1920 à Habsheim. 20.09.2012)

 

Alors que le détachement en Bade a pour but l’immersion dans un milieu NS authentique, les Alsaciens se font remarquer par leur tendance à se regrouper entre Alsaciens, à s’isoler. On leur en fait le reproche, on tente de les séparer. Ce n’est pas la génération des 18-24 ans qui court le plus grand risque de conversion aux idées nazies

 

« « Et alors, il [ notre jeune et sympathique professeur de mathématiques et physique] nous a demandé : « Vous êtes heureuses, n’est-ce pas d’être libérées de la France et d’être chez les Allemands ? ». Alors, on a dit, – comme de petites andouilles que nous étions, parce que c’était hyper dangereux de dire des choses comme ça, – qu’il se trompait de fond en comble, qu’on avait qu’une envie, c’était de redevenir Français. Bon, il était quand même très, très sympathique. S’il nous avait dénoncées, on était mûres pour le camp de  concentration !
Le lendemain, Pfreundschuh nous a avoué qu’il n’avait pas dormi de toute la nuit et que ces révélations l’avaient perturbé. Il était sans doute naïf et je me demande à quel point les Allemands qui sont venus en Alsace ne s’imaginaient pas tous qu’ils nous avaient libérés et que … . Évidemment, il fallait cacher les sentiments qu’on avait. Mais c’était aussi des gens [hésite sur le choix de l’adjectif ]  humains, simplement corrects du point de vue humanité. Et à Karlsruhe aussi. Ils sympathisaient complètement avec nous. » (Charlotte Meyer-Schutz, 1924, Mulhouse, 11.06.2009)

 

Mes interlocutrices estiment que l’enseignement français républicain les a préservées de l’embrigadement nazi. Elles ont choisi dans les activités du BDM ce qui les intéressait, l’anglais et le secourisme. Il y avait bien dans leur entourage scolaire mulhousien des filles qui s’engageaient dans un certain militantisme nazi, mais c’est parce que leur famille s’était déjà engagée dans le monde NS et qu’elle avait adopté l’idéologie nationale-socialiste.

 

Les jeunes d’âge scolaire.

Par contre, les plus jeunes, qui ont fréquenté quatre années complètes d’enseignement en allemand, disent avoir couru plus de risques. Stéphanie, née en 1934 à Lautenbach, que j’ai rencontrée le 14 décembre 2011, le dit clairement : « Nous les enfants, si la Libération de l’Alsace n‘était pas intervenue avant la fin de notre enfance, nous étions mûrs pour adhérer à l’idéologie NS. Nous chantions les chants allemands. »

 

Wenn die do gebliewe wäre, wäre mir d’gànze Jugend ersterklassigi Nazi gsi. Ja.  Denn i hab als g’sunge dheim: „ War einst ein junger Sturmsoldat. Der war dazu bestimmt. Dass er Weib und Kind verlassen muss. Verlassen muss geschwind!“

(en Français: Si ce système était restée en place, nous aurions été des nazis de première classe pendant toute la jeunesse. Oui. Parce que j’ai été un peu comme un soldat. : « Il y avait un jeune soldat d’assaut. Il était destiné à cela. Il devait abandonner femme et enfant. partir vite ! »)

 

Stéphanie dit à sa mère qu’elle aussi aimerait participer aux activités de la Hitlerjugend, ouvertes seulement aux garçons. Les petits couteaux distribués aux adhérents ont un grand succès. Elle était, dit-elle, complètement gagnée à l’esprit NS (« M’r sen Schwowe gsin ») L’’uniforme des grandes filles de 14 à 16 ans du B.D.M (Bund deutscher Mädel) a beaucoup d’attrait et aurait bien plu aux petites filles. Tout dans la vie des enfants et dans les animations de la Hitlerjugend est fait pour attirer les enfants.

 

Les parents sont visiblement catastrophés, mais ne savent comment s’opposer à toute cette propagande sans mettre leurs enfants en danger. Stéphanie évoque leur exaspération, surtout celle de son père qui menace lui donner des taloches. Mais ils sont atterrés par les manifestations d’adhésion naïve : subjugués par la propagande quotidienne pernicieuse, les enfants risquent d’échapper à l’influence de leurs parents ». (Condensé de l’entretien du 14.09.2011 à Linthal)

 

Noël est la première grande fête de l’année à être fêtée six mois après l’arrivée des Allemands qu’évoque Stéphanie. Les chants religieux traditionnellement chantés à l’école et dans la famille sont interdits. C’est une manifestation majeure de l’idéologie allemande avec l’interdiction des congrégations religieuses. Les sœurs enseignantes sont chassées de l’enseignement et souvent les petites communautés de sœurs de la congrégation de la Divine Providence sont chassées des communes. On les tolère encore comme sœurs gardes-malades ou comme infirmières.

 

En visite dans les familles à Noël, les religieuses de la commune demandent à Stéphanie de chanter devant le sapin ; elles ne disent rien à l’enfant mais n’arrivent pas à cacher leur désarroi quand, à la place de « Stille Nacht » ou de « Es ist ein Kind geboren », à la place des cantiques traditionnels, Stéphanie chante des chants de la S.A d (Sturmabteilung) u  type Horst-Wessel Lied ou dit en le mimant un poème profane :

Un i hàn nadierli de Bi-Ba Butzemànn g’màcht vorem Wihnàchstbauïm. Die hàn beidi d’Tràne g’loffe.

 

Elle a six ans, elle chante devant le sapin la chanson du Croque-Mitaine (Butzemann). Les religieuses qui tentent de maintenir la religion chrétienne dans la commune, en ont les larmes aux yeux.

Les collectes, collecte de plantes, de simples, les ramassages de chiffons etc. prennent une grande place à l’école.  La baisse de niveau scolaire est attestée.

 

À la Libération les enfants ont dix ans et il ne reste que quatre ans pour les préparer au Certificat d’études. Cinq filles sur les sept de la classe d’âge le réussissent. Mais ce n’est pas seulement le français que les enfants apprennent. L’école allemande ne consacrait pas, occupée qu’elle était par les collectes et autres actions de mobilisation de la jeunesse, beaucoup de temps aux apprentissages fondamentaux.

 

La défaite allemande en 1945 a empêché une catastrophe, parce que l’enseignement reçu allait faire de la génération des enfants d’âge préscolaire et scolaire, des nazis complets. L’école primaire devenue la Volksschule qui instruit le peuple à un savoir minimal (lire, écrire, calculer) les préparait à devenir des citoyens obéissants du IIIème Reich et à y exercer leurs tâches quotidiennes, y compris les tâches ménagères sans avoir plus d’ambition pour eux. L’école parallèle, la Hitlerjugend, sensibilise les garçons à la vie militaire et au maniement des armes.

La guerre a compromis leur scolarité et leur a fait oublier le peu de  français qu’ils avaient appris avant la guerre. 1

 

Le journal intime tenu par Thérèse W. de Soultz (Haut-Rhin) montre l’influence que l’école allemande, quand elle est bien faite, exerce sur les 10-14 ans. (entretien avec T.W, Reguisheim, 27.09.2015)

 

Ces faits sont d’une gravité extrême. On n’a pas assez insisté sur les risques qu’une dictature fait courir à l’avenir d’une population dont elle endoctrine les jeunes, encore malléables, et réussit à faire d’eux des fanatiques potentiels. Le Troisième Reich a fait ce que la Chine de XI fait actuellement dans ce qu’elle nomme « « centres de formation et d’éducation ». Au moins un million de Ouïgours, sur une population totale de 11,5 millions, et d’autres membres de minorités musulmanes auraient été internés les trois dernières années, selon le décompte d’ONG repris par l’ONU »2. La différence est que la Chine peut exercer son projet dans la durée.

 


 

1. L’école à Merxheim pendant la guerre .Merxheim. 8 mars 2102. Témoignages de M. et Mme Brender (1932), Mme Kammerer (1934), M. Mulhaupt (1933) Mme Muller (1931).

2. Harold Thibault  et Brice Pedroletti : « China Cables » : révélations sur le fonctionnement des camps d’internement des Ouïgours », dans Le Monde, 24 novembre 2019.

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